Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/206

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forcent un camarade ou une camarade à tourner le dos au public pendant un couplet important et de longue haleine ; ils remontent le théâtre quand ils n’ont rien à dire, et éloignent ainsi, le plus qu’ils peuvent, de la rampe, leur interlocuteur, que le public n’entendra plus.

Talma ne connaissait ni ces ruses de jalousie, ni ces perfidies de rivalité. Il se préoccupait presque autant des rôles de ses partenaires que du sien propre ; s’il eût pu jouer avec mademoiselle Rachel, il l’eût servie, aidée, utilement conseillée, et cet Oreste eût été heureux de mourir pour cette Hermione.

Talma ne manquait ni d’esprit ni d’instruction. Il savait très-bien l’anglais. Toute sa vie il n’eut que du laisser-aller, de l’obligeance, de la bonté pour tous. Aussi sa mort fut-elle une douleur publique ; il fut pleuré par tous ceux qui le connaissaient. À Brunoy, où était située sa maison de campagne, cette perte désola toute la commune.

Ce fut en 1787 que Talma débuta à la Comédie-Française dans le rôle de Séide du Mahomet de Voltaire ; il créa peu de temps après le rôle de Cléry dans l’Intrigue êpistolaire, de Fabre d’Églantine. Ses grands succès et sa réputation méritée datent du rôle de Charles IX, de Marie-Joseph Chénier. Talma mourut le 19 octobre 1826.

Lorsque Talma mourut, Lafon, ce tragédien gascon, prit tous ses rôles. Jamais Lafon ni ses amis ne prononçaient le nom de Talma ; pour désigner Talma, ils disaient l’autre. Lafon, dans Cinna, jouait Cinna, lorsque