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de la révolution et de 93, des mains propres faisaient de vous un suspect.

Le cheval anglais doit à l’origine de sa race, mais beaucoup aussi aux soins de propreté qu’on lui prodigue, toutes ses brillantes qualités, sa distinction, sa légèreté, les reflets de sa robe, et je dirai presque la dignité de son caractère. Les soins de propreté, qu’on ne saurait pousser trop loin, et renouveler trop souvent, ont encore une action plus profonde sur la sensibilité physique et aussi sur la sensibilité morale de l’homme. La propreté a quelque chose d’honnête : c’est le respect de soi-même. Des les premiers jours de la restauration, on comprit, on pratiqua la propreté. On se mit à respecter, à honorer la nature humaine ; l’homme ne fut plus, comme on le disait alors, de la chair à canon.

Je ne prétends point que, en un jour, les mœurs publiques passèrent du vice à la vertu ; mais les scandales de la licence firent place à une décence exigée, et aux sévérités de la pruderie ; on passa même à la recherche, à l’élégance ; les gants jaunes devinrent pour les hommes une mode et un luxe de rigueur dans les salons, dans les loges et dans les avant-scène de nos théâtres.

La chance quotidienne d’être emporté par un boulet de canon ne pouvait plus servir d’excuse à une vie déréglée, à tous les délires de la débauche. La gloire des champs de bataille ne fut plus l’espérance des générations nouvelles. Les succès, la célébrité, la gloire littéraires, tentèrent donc les esprits élevés et les cœurs ardents. On n’adorait point encore le veau d’or. Les âmes ne s’étaient point encore amollies et courbées sous la dictature de l’argent.