Page:Va toujours.djvu/15

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Son neveu vint l’embrasser selon l’habitude gardée de l’enfance :

— Tante Nic, imagine que j’ai rencontré sur la route du Champ des Martyrs, un vagabond qui n’avait guère de bonnes intentions à l’égard de deux pèlerines auxquelles il a fait peur et que j’ai rassurées. Le malheureux, sans feu ni lieu, mourait de faim, je lui ai fait donner à souper chez la mère Burgevin et ne sachant où le mettre pour passer la nuit, je l’ai amené coucher chez nous. Demain, je m’occuperai de lui trouver du travail.

— Un vagabond ! un voleur !

— Oui. Nous en avons tant vu de cette espèce ! il a une sœur religieuse aux Augustines, dit-il.

— Tout de même, décida Denise en portant la soupière dans la salle, il serait temps de souper. Voilà la « Retraite » qui passe.

En effet, sous l’empire, à huit heures du soir, chaque jour, les musiciens du régiment faisaient le parcours de la Mairie à la caserne par les boulevards avec tambours et clairons ce qui était le signal de la Retraite pour les soldats.

René prit le bras de sa tante pour l’aider à se lever, geste affectueux non utile, et il la conduisit à table. Le souper était chose délicieuse, il clôturait la journée, on s’attardait en parlant de ce qu’on avait fait, on mangeait lentement l’excellent potage aux légumes, le plat de légumes de saison, le laitage ou les fruits cuits et crus avec quelques galettes ou biscuits que fabriquait Denise. On buvait le vin de la récolte. Nicole récitait les grâces à la fin du repas, les servantes desservaient vite et venaient s’asseoir sous la lampe près de la table à côté de leurs maîtres assis de chaque côté du foyer l’hiver, et devant la porte-fenêtre ouverte sur le jardin, en été. Denise et Nanette filaient une quenouille en tournant leur tye, pour faire le résistant fil gris destiné à composer les draps, nappes et serviettes de qualité inusable, qui s’entassaient dans les armoires de la famille. Nicole, les mains jointes, ne tricotait plus guère, René sculptait un jeu d’échecs ou fabriquait une corbeille avec des tiges de chèvrefeuille. Souvent, il lisait à haute voix le journal du département qu’une porteuse ietait dans la boîte disposée à la porte de la rue vers dix heures chaque jour, sauf le dimanche et les jours de fête. C’était un petit format, grand comme une demie-page d’à présent. On y lisait les articles sur l’actualité, les faits divers, ce qui, une fois avait fait dire à Nanette : « Quand donc donnera-t-on les « faits d’été » ? Le maître amusé lui avait expliqué le sens de l’article. La bonne Nanette émettait quelquefois de naïves réflexions. N’avait-elle pas demandé une fois à Mlle Nicole de lui écrire une lettre