Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/104

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J’ai vu parfois des définitions très surprenantes de l’intellectuel. Il en est qui reçoivent le comptable, qui éliminent le poète. Il y en a de telles qu’entendues à la rigueur de la lettre elles englobent, elles sont impuissantes à exclure ces belles machines à calculer, ou à quarrer des courbes, qui sont si supérieures à tant de cerveaux.

Ces machines calculatrices qui me passent par l’esprit me suggèrent une réflexion que je noterai au passage.

Il y a des activités intellectuelles qui peuvent changer de rang par le progrès des procédés techniques. Quand ces procédés deviennent plus précis, quand la profession se ramène peu à peu à l’application de moyens énumérables, exactement indiqués par l’examen du cas particulier, la valeur personnelle du professionnel perd de plus en plus d’importance. On sait quel rôle jouent l’habileté individuelle et les procédés secrets dans une quantité de domaines. Mais le progrès dont je parlais tend à rendre les résultats indépendants de ces qualités singulières.

Si la médecine, par exemple, arrivait quelque jour, dans les diagnostics et dans la thérapeutique correspondante, à un degré de précision qui réduisît l’intervention du praticien à une série d’actes définis et bien ordonnés, le médecin deviendrait un agent impersonnel de la science de guérir, il perdrait tout ce charme qui tient à l’incertitude de son art et à ce qu’on suppose invinciblement qu’il y ajoute de magie individuelle ; il se rangerait désormais tout auprès du pharmacien qui est placé un peu plus bas que lui, jusqu’ici, parce que ses opérations sont plus scientifiques et se font sur une balance.