Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/31

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première grandeur ; et imaginons à peu près comme il doit s’apparaître, quand il s’arrête quelquefois dans le mouvement de ses travaux et qu’il se regarde dans l’ensemble.

Il se considère d’abord assujetti aux nécessités et réalités communes ; et il se replace ensuite dans le secret de la connaissance séparée. Il voit comme nous et il voit comme soi. Il a un jugement de sa nature et un sentiment de son artifice. Il est absent et présent. Il soutient cette espèce de dualité que doit soutenir un prêtre. Il sent bien qu’il ne peut pas se définir entièrement devant lui-même par les données et par les mobiles ordinaires. Vivre, et même bien vivre, ce n’est qu’un moyen pour lui : quand il mange, il alimente aussi quelque autre merveille que sa vie, et la moitié de son pain est consacrée. Agir, ce n’est encore qu’un exercice. Aimer, je ne sais pas s’il lui est possible. Et quant à la gloire, non. Briller à d’autres yeux, c’est en recevoir un éclat de fausses pierreries.



Il lui faut cependant se découvrir je ne sais quels points de repère tellement placés que sa vie particulière et cette vie généralisée qu’il s’est trouvée, se composent. La clairvoyance imperturbable qui lui semble, (mais sans le convaincre tout à fait), le représenter tout entier à lui-même, voudrait se soustraire à la relativité qu’elle ne peut pas ne pas conclure de tout le reste. Elle a beau se transformer en elle-même, et de jour en jour, se reproduire aussi pure que le soleil, cette identité apparente emporte avec elle un sentiment qu’elle est trompeuse. Elle sait, dans sa fixité, être soumise à un mystérieux