Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/33

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son effacement final, mais au titre d’une notion qui n’est pas d’une autre espèce que les autres ; elle se croirait, très aisément, inamissible et inaltérable, si ce n’était qu’elle a reconnu par ses expériences, un jour ou l’autre, diverses possibilités funestes, et l’existence d’une certaine pente qui mène plus bas que tout. Cette pente fait pressentir qu’elle peut devenir irrésistible ; elle prononce le commencement d’un éloignement sans retour du soleil spirituel, du maximum admirable de la netteté, de la solidité, du pouvoir de distinguer et de choisir ; on la devine qui s’abaisse, obscurcie de mille impuretés psychologiques, obsédée de bourdons et de vertiges, à travers la confusion des temps et le trouble des fonctions, et qui se dirige défaillante au milieu d’un désordre inexprimable des dimensions de la connaissance, jusqu’à l’état instantané et indivis qui étouffe ce chaos dans la nullité.



Mais, opposé tout de même à la mort qu’il l’est à la vie, un système complet de substitutions psychologiques, plus il est conscient et se remplace par lui-même, plus il se détache de toute origine, et plus se dépouille-t-il, en quelque sorte, de toute chance de rupture. Pareil à l’anneau de fumée, le système tout d’énergies intérieures prétend merveilleusement à une indépendance et à une insécabilité parfaites. Dans une très claire conscience, la mémoire et les phénomènes se trouvent tellement reliés, attendus, répondus ; le passé si bien employé ; le nouveau si promptement compensé : l’état de relation totale si nettement reconquis que rien ne semble pouvoir commencer, rien se terminer, au sein de cette activité presque