Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fonde l’imbécile ; l’esprit le plus fort ne trouve pas mieux en soi-même.



Enfin, cette conscience accomplie s’étant contrainte à se définir par le total des choses, et comme l’excès de la connaissance sur ce Tout, — elle, qui pour s’affirmer doit commencer par nier une infinité de fois, une infinité d’éléments, et par épuiser les objets de son pouvoir sans épuiser ce pouvoir même, — elle est donc différente du néant, d’aussi peu que l’on voudra.

— Elle fait songer naïvement à une assistance invisible logée dans l’obscurité d’un théâtre. Présence qui ne peut pas se contempler, condamnée au spectacle adverse, et qui sent toutefois qu’elle compose toute cette nuit haletante, invinciblement orientée. Nuit complète, nuit impénétrable, nuit absolue ; mais nuit nombreuse, nuit très avide, nuit secrètement organisée, toute construite d’organismes qui se limitent et se compriment ; nuit compacte aux ténèbres bourrées d’organes, qui battent, qui soufflent, qui s’échauffent, et qui défendent, chacun selon sa nature, leur emplacement et leur fonction. En regard de l’intense et mystérieuse assemblée, brillent dans un cadre fermé, et s’agitent, tout le Sensible, l’Intelligible, le Possible. Rien ne peut naître, périr, être à quelque degré, avoir un moment, un lieu, un sens, une figure, — si ce n’est sur cette scène définie, que les destins ont circonscrite, et que l’ayant séparée de je ne sais quelle confusion primordiale, comme furent au premier jour les