Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/43

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semblables, et qui consiste simplement dans la possibilité des autres intelligences, dans la pluralité du singulier, dans la coexistence contradictoire de durées indépendantes entre elles, — tot capita, tot tempora, — problème comparable au problème physique de la relativité, mais incomparablement plus difficile…

Et voici que son zèle pour être unique l’emportant, et que son ardeur pour être toute puissante l’éclairant, elle a dépassé toutes créations, toutes œuvres et jusqu’à ses desseins les plus grands, en même temps qu’elle dépose toute tendresse pour elle-même, et toute préférence pour ses vœux. Elle immole en un moment son individualité. Elle se sent conscience pure : il ne peut pas en exister deux. Elle est le moi, le pronom universel, appellation de ceci qui n’a pas de rapport avec un visage. Ô quel point de transformation de l’orgueil, et comme il est arrivé où il ne savait pas qu’il allait ! Quelle modération le récompense de ses triomphes ! Il fallait bien qu’une vie si fermement dirigée, et qui a traité comme des obstacles ou que l’on tourne ou que l’on renverse, tous les objets qu’elle pouvait se proposer, ait enfin une conclusion inattaquable, non une conclusion de sa durée, mais une conclusion en elle-même… Son orgueil l’a conduite jusque là, et là se consume. Cet orgueil conducteur l’abandonne étonnée, nue, infiniment simple sur le pôle de ses trésors.



Ces pensées ne sont pas mystérieuses. On aurait pu écrire tout abstraitement que le groupe le plus général de nos transformations, qui comprend toutes sensations,