Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/66

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traites. S’ils se déplacent, le mouvement des files de fenêtres, la translation des surfaces qui défigure continûment leur sensation, leur échappe — car le concept ne change pas. Ils perçoivent plutôt selon un lexique que d’après leur rétine, ils approchent si mal les objets, ils connaissent si vaguement les plaisirs et les souffrances d’y voir, qu’ils ont inventé les beaux sites. Ils ignorent le reste. Mais là, ils se régalent d’un concept qui fourmille de mots. (Une règle générale de cette faiblesse qui existe dans tous les domaines de la connaissance est précisément le choix de lieux évidents, le repos en des systèmes définis, qui facilitent, mettent à la portée… ainsi l’œuvre d’art, qui est toujours plus ou moins didactique). Ces beaux sites eux-mêmes leur sont assez fermés. Et toutes les modulations que les petits pas, la lumière, l’appesantissement du regard ménagent, ne les atteignent pas. Ils ne font ni ne défont rien dans leurs sensations. Sachant horizontal le niveau des eaux tranquilles, ils méconnaissent que la mer est debout au fond de la vue ; si le bout d’un nez, un éclat d’épaule, deux doigts trempent au hasard dans un coup de lumière qui les isole, eux ne se font jamais à n’y voir qu’un bijou neuf, enrichissant leur vision. Ce bijou est un fragment d’une per-