Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/68

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nous recouvrir, de quelque chose plus forte que nous, s’enchevêtrant, se déchirant, dormant, brodant encore, et à qui, personnifiée, les poètes accordèrent de la cruauté, de la bonté et plusieurs autres intentions. Il faut donc placer celui qui regarde et peut bien voir dans un coin quelconque de ce qui est.

L’observateur est pris dans une sphère qui ne se brise jamais, où il y a des différences qui seront les mouvements et les objets, et dont la surface se conserve close malgré que toutes les portions s’en renouvellent et s’y déplacent. L’observateur n’est d’abord que la condition de cet espace fini : à chaque instant, il est cet espace fini. Nul souvenir, aucun pouvoir ne le trouble tant qu’il s’égale à ce qu’il regarde. Et pour peu que je puisse le concevoir durant ainsi, je concevrai que ses impressions diffèrent le moins du monde de celles qu’il recevrait dans un rêve. Il arrive à sentir du bien, du mal, du calme lui venant[1] de ces formes toutes quelconques, où son propre corps se compte. Et voici len-

  1. Sans toucher les questions physiologiques, je mentionne le cas d’un individu atteint de manie dépressive que j’ai vu dans une clinique. Ce malade, qui était dans l’état de vie ralentie, reconnaissait les objets avec une lenteur extraordinaire. Les sensations lui parvenaient au bout d’un temps considérable. Aucun besoin ne se faisait sentir en lui. Cette forme, qui prend parfois le nom de manie stupide, est excessivement rare.