Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/149

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vit, pendant trois heures, chaque soir, plus que d’autres pendant une année — élargissant, de son éloquence, le temps présent ; empiétant, par le rêve, sur l’avenir ; jetant, ce malade, la santé de sa parole à une légion d’ouvriers, aux épaules d’athlètes et aux poitrines de fer, tout émus de voir ce prolétaire sans poumons se tuer à défendre leurs droits.


Briosne est toujours avec un camarade plus petit que lui, vêtu d’une redingote à la proprio, et marchant lentement, la tête un peu de côté et un parapluie sous le bras.

Il ressemble — à s’y méprendre — à un homme qui, en 1848, à Nantes, me frappa en plein cœur par la hardiesse de son langage. Cette hardiesse-là le chassait de la modeste situation où il gagnait de quoi manger. L’autorité qu’il avait prise au club humiliait et épouvantait ses patrons. On venait de lui régler son compte, et il faisait ses adieux au peuple avec simplicité et grandeur.

— Je ne puis plus rester parmi vous ; j’ai dans le dos la croix des affamés. Je vais à Paris, où je trouverai peut-être à vendre mon temps contre un morceau de pain… où je trouverai aussi à donner ma vie, moi pauvre, si elle peut boucher une brèche, un matin de révolte.

Quelque temps après, on apprenait qu’il avait fait le cadeau promis. On avait ramassé son cadavre, étoilé de balles, au pied de la barricade du Petit-