Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/211

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le chômage, c’est la faim — après comme avant, tout pareil !


Comment avons-nous dîné ?… Je ne sais plus ! Avec du pain, du fromage, un litre à seize, une saucisse sur le pouce, debout au comptoir.

Des confrères en journalisme, des copains de métier passent devant le mastroquet, nantis déjà d’une place, et courant au café commander un gueuleton qu’on mettra sur l’ardoise de la Mairie, ou chez les tailleurs militaires, un frac à collet tout galonné.

Ils me jettent un regard de pitié, m’adressent un salut de riche à pauvre, de chien repu à chien pelé. Et je vois luire dans leurs yeux toute la joie de me retrouver affamé, et en compagnie de mal vêtus.


Sommes-nous encore perdus, bafoués, invisiblement garrottés, dès le lendemain de la République proclamée, nous qui, par nos audaces de plume et de parole, au péril de la dèche et de la prison, avons mâché le triomphe aux bourgeois qui siègent derrière ces murailles et qui vont, viennent, jouent les mouches du coche sur le char que nous avons tiré de l’ornière et désembourbé ?


On m’a déjà traité de trouble-fête, de fauteur de désordre, parce que j’ai arrêté par les basques un de ces appointés du régime nouveau, lui demandant ce qu’on faisait dans la boutique.