Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/291

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» Nous avons saigné et pleuré pour toi. Tu recueilleras notre héritage.

» Fils des désespérés, tu seras un homme libre ! »


J’ai du bonheur pour mon argent ! Par-dessus mon épaule, un ou deux fédérés essaient de lire, en disant d’un air entendu :

— Il a tout de même le fil, ce sacré Vingtras ! Vous ne trouvez pas, citoyen ?


Je ressens une ivresse profonde, perdu dans cette multitude qui me jette aux oreilles tout ce qu’elle pense de moi.

Ma réserve, quand on frappe sur le journal en disant : « Est-ce tapé ! là, voyons ?… » me vaut même, de la part des enthousiastes qui me trouvent tiède, des moues de colère, et aussi des bourrades sournoises — qui me cassent les côtes, mais me rapiècent le cœur.

Il me semble qu’il n’est plus à moi, ce cœur qu’ont écorché tant de laides blessures, et que c’est l’âme même de la foule qui maintenant emplit et gonfle ma poitrine.


Oh ! il faudrait que la mort vînt me prendre, qu’une balle me tuât dans cet épanouissement de la résurrection !

Je mourrais aujourd’hui en pleine revanche… et qui sait ce que demain la lutte va faire de moi !