Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/385

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mon tablier n’est qu’une grande plaque de sang caillé ! Les lignards mêmes détournent les yeux, et nous galopons libres dans un sillon d’horreur.


— Où allez-vous ? interroge une dernière sentinelle.

— Là, à l’hôpital Saint-Antoine !


C’est plein de porte-brassards.

Je marche droit à eux, et leur signale mon lot de chair humaine.

— Versez vos corps dans cette salle !

Elle est pavée de cadavres ; un bras me barre le passage, un bras que la mort a saisi et fixé dans un héroïque défi, tendu, menaçant, avec un poing fermé qui a dû effleurer un nez d’officier devant le peloton d’exécution !


On est en train de fouiller les victimes. Sur l’une, on trouve un cahier de classe : c’est une fillette de dix ans qu’un coup de baïonnette a saignée comme un cochon, à la nuque, sans couper un petit ruban rose qui retient une médaille de cuivre.

Sur une autre, une queue de rat, des besicles, quatre sous, et un papier qui indique qu’elle est garde-malade, et qu’elle a quarante ans.

Par ici, un vieillard dont le torse nu émerge au-dessus du charnier. Tout son sang a coulé, et son masque est si pâle que le mur blanchi contre lequel