Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/368

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tions à la pointe de l’épée, grâce à ma nature bavarde et sanguine, à mon espèce de faconde et à ma verve d’audacieux. Je pouvais par mes anciens professeurs de Bonaparte ou de province obtenir une place qui m’eût mené à tout. On me l’a dix fois conseillé. Si je suis pauvre, c’est que je l’ai bien voulu ; je n’avais qu’à vendre aux puissants ma jeunesse et ma force.

Je pouvais, il y a beau temps, cueillir une fille à marier, qui m’aurait apporté ou des écus ou des protections.

Protections ou écus auraient senti le sang du coup d’État ; et je suis resté dans l’ombre où j’ai mangé les queues de merlan de Turquet.


« Mais, riche, tu pourras défendre tes idées et les mettre dans tes livres, tu aideras bien mieux les pauvres ainsi, qu’en te morfondant dans cette pauvreté qui te lie les mains et qui… (je te demande pardon de te parler ainsi) peut t’aigrir le cœur.

Il y a du vrai dans ces mots-là.

Ma mère me voit ébranlé et reprend :

« Mon ami, ce que tu feras sera bien fait, je ne te reprocherai pas de ne pas m’avoir écoutée… Tu es un homme… J’ai trop à me reprocher de ne pas t’avoir compris quand tu étais un enfant. Mais ne te hâte point, je t’en prie. »


Soit, je ne briserai rien : j’attendrai : mais encore dois-je savoir si celle qui veut être ma femme voudra être mon compagnon et mon complice…