Page:Variétés Tome III.djvu/170

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mon amy, que toutes les etoffes et materiaux ont eté pris chez les apoticaires de Paris, et des plus fines rubarbes qu’ils ayent en leurs boutiques, et soyez asseuré que, si ce n’estoit un remedium contra pestem8 que l’on vend au palais, il y auroit bien du danger à passer par icy. Ayans prins congé de cestui-là, je passe dans une grande forest bruslée, où on ne voyoit goute, à l’issue de laquelle je trouvay deux venerables vieillards, qui me demandèrent où j’allois ; je leur responds : Messieurs, je cherche le pays de Sapience. L’un commence à rire comme un fol, l’autre à pleurer comme un veau ; je fus tout estonné de cette façon de faire. Ils me demandèrent neanmoins tous deux qui j’etois, et moy je leur fais la mesme demande. L’un me dit : Je m’appelle Democrite. — Et moy Heraclite. — Et moy Piedaigrette, leur dis-je. — Or, puis que tu as dit ton nom, passe maintenant, te voilà entré au pays de Folie, par lequel il te faut passer avant que d’entrer en Sapience. Je ne fus pas une demi-lieue dans le pays, Monsieur Guillaume, mon ami, que je rencontrai un grand vieillard, qui, avec une torche ardente, cherchoit le jour en plein midi. Un peu plus avant, je vis un petit noirault qui aprenoit à nager sur une rivière avec deux pierres à son col, comme deux vessies de charcutier, et tant d’autres fols de ce monde que


8. Il régnoit alors à Paris une dangereuse contagion que Malherbe appelle peste à la gorge. (V. lettre à Peiresc du 10 octobre 1606.) C’étoit une maladie semblable à celle qui ravagea Barcelone en 1822. V. Journal de l’Estoille, édit. Lenglet, t. 3, p. 378, 385.