Page:Variétés Tome III.djvu/210

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trois heures après ils amènent quatorze philosophes et sages du païs, expers negromanciens. Ces philosophes arrivez, le grand seigneur leur recite ses songes de point en point, leur enchargeant, sur peine d’estre demembrez par les mains des bourreaux (qui est une espèce de tourment inventé en la Turquie depuis le règne dudit empereur), de luy dire sur-le-champ l’interpretation desdits songes. À ce commandement, les philosophes s’assemblent et consultent sur cette matière, qui leur semble si ardue, difficile et haute, qu’ils ne peurent trouver en toutes leurs explications aucune certitude ny tomber d’accord, occasion que, pressez de dire ce qu’il leur en sembloit, ils declarèrent tout haut qu’ils cognoissoient bien que cela denotoit quelque malheur futur à la Turquie ; mais de comprendre comment ny le moien de l’eviter, ils ne le pouvoient ; chose qui mist le grand seigneur en telle fureur, qu’il ordonna que sur l’heure ils fussent livrez ès mains des bourreaux et mis à mort ; ce que les bachats alloient faire executer, quand l’un des dits philosophes se prosterne aux genoux du grand seigneur, et, lui baisant le soulier, le prie de lui donner audience avant que l’on procedast à son jugement. L’empereur, vaincu de ses prières, ne lui voulut denier une si honneste demande ; au moien de quoi le philosophe, d’un visage asseuré, lui dit que, s’il lui plaisoit de lui pardonner une faute assez legère qu’il avoit commise envers Sa Majesté, il lui feroit veoir un homme qui le mettroit hors de peine. Le grand seigneur, joieux de telle chose, lui replique que non seulement il lui pardonnoit telle faute,