Page:Variétés Tome III.djvu/236

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tice, laquelle peut-estre ne pense à autre chose qu’à me punir ? Y a-il pas moyen de derober ce faict à sa cognoissance, et quant et quant me delivrer de sa puissance ?

Comme il estoit en ces altères7, l’ennemy de nature, qui faict que les meschancetez servent aux meschants de degrez à plus grandes meschancetez, et qui, par les crimes execrables, leur en fraye le chemin, coula ce propos et ceste resolution en sa pensée : Que penses-tu faire ? Que servent tant de plaintes et deliberations ? Ne voy-tu pas que les premiers actes de ceste tragedie sont jouez ? La beste est prise, tu en as faict curée et en as assouvi tes appetits ; reste seulement la catastrophe. Estrangle donc celle qui te tient en peine ; et, celant ton faict, tire-toy d’inquietude et tourmens. Toute asseurance est perdue si tu ne trouves ta vie en sa mort, et si sa ruine ne te sert d’ancre de salut.

Le miserable remache et embrasse aussitost ce meschant conseil, non toutes fois sans se sentir merveilleusement esbranlé de ces raisons au contraire : Quoy ! de la Motte, pourras-tu concevoir une haine si mortelle contre celle qui, par le rapt de sa virginité, a commencé à t’aimer, et qui, par la perte de sa fleur, s’est domestiquée8 en ton amour ? Hé ! ne vois-tu pas que ces bourasques et tempestes t’em-


7. « Inquiétudes d’esprit, passions véhémentes. » (Dict. de Furetière.) Ce mot étoit déjà vieux.

8. Montaigne s’est servi du même mot à peu près dans le même sens : « Il faut, dit-il, oster à la mort son estrangeté et la domestiquer à force d’y penser. »