Page:Vasari - Vies des peintres - t1 t2, 1841.djvu/17

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événements dont le souvenir échappe aux révolutions ; qu’on se résigne à ne jouir maintenant que des grandes sommités épargnées par le ravage des temps, il le faut bien ; mais se résignera-t-on aussi patiemment en présence de qui vient nous dire en France, loin du beau spectacle de la variété et de l’unité de l’école italienne : « J’ai parcouru long temps et je connais parfaitement l’Italie ; je ne me suis cependant arrêté que devant cinq ou six maîtres. » Ignore-t-on donc que chez les Italiens il y a presque toujours des beautés plus intimes, des traits plus originaux, s’il est possible, dans les ouvrages intermédiaires, que dans les réalisations des grands chefs d’école ? Et cela surtout dans les belles époques, parce que les maîtres du second ordre ne sont pas en Italie, comme en France, les élèves et les reflets des plus grands maîtres, mais au contraire leurs émules, et souvent leurs inspirateurs. Aussi y verrons-nous presque toujours l’élève dépasser le maître tout en le continuant, ce qui n’a guère d’analogue chez nous où le premier pas dans la voie du talent doit être nécessairement, à cause de la position de notre école, la renonciation formelle à toute influence et à tout héritage professoral, comme l’ont tour à tour et complètement prouvé le Poussin, Lesueur, le Valentin, le Puget, David, Prud’hon, Géricault, Ingres, etc.

Ainsi donc, déchirer volontairement la tradition moderne, couvrir d’une rouille factice les ouvrages modernes, c’est faire tout simplement, au milieu de la civilisation la plus avancée, l’acte le plus complet de barbarie. En effet, ne dirait-on pas, quand on lit les auteurs français qui traitent de l’art, que l’Italie moderne est arrivée à l’état de la Grèce antique, et que le voyageur ne peut plus trouver chez elle que des morceaux brisés, que des ruines éparses qui déposent de la gloire de quelques noms ? Mais si l’Italie, lasse après tant de travaux et de gloire, est maintenant déchue et se repose, elle offre au moins à l’étranger qui la visite l’aspect d’un musée bien tenu ; et pour y trouver autre chose que les grandes merveilles qu’elle nous expose, il n’est pas besoin de se livrer à la recherche pénible d’un antiquaire. L’abondance et la richesse de l’art italien seraient, elles cause du dédain de nos auteurs pour les œuvres intermédiaires ?