Page:Vasari - Vies des peintres - t1 t2, 1841.djvu/252

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prévoir toutes les conséquences sans crainte, et qui avec cela, si vous n’y preniez garde, vous mènerait tout droit aux plus folles, aux plus fallacieuses, aux plus brutales et aux plus funestes persuasions. C’est que travailler à son corps défendant, comme on sait, comme on sent, comme on peut ; donner son âme entière, son génie entier ; dépenser sa peine et son temps à une œuvre qui porte votre nom, et qui reflète votre nature, votre esprit, vos goûts, votre humeur ; ou tout simplement juger ou classer l’œuvre d’autrui, apprécier ses goûts et ses motifs, sont deux exercices très différents. Et l’on comprend fort bien que la méthode par laquelle on excelle dans l’un puisse juste, justement faire avorter dans l’autre. Est-ce que par hasard la critique croit faire une œuvre d’inspiration pour venir ainsi à l’inspiration emprunter ses moyens et ses procédés ? L’œuvre de l’artiste est quelque chose de positif qui vit par soi et qui demeure. Le travail du critique, au contraire, n’est-ce pas une entreprise toute négative, qui emprunte son existence à autrui, et qui passe ; qui passe d’autant plus vite qu’elle méconnaît sa fonction et sa loi ? Or, la fonction de la critique est de tout accepter, de n’avoir point de goût particulier, de prendre chaque œuvre pour ce qu’elle se présente et veut être, et après, de compter sévèrement avec elle sur ce pied. Sa loi est de connaître à fond l’unité de l’art et de la toujours respecter. Connaître l’unité de l’art, c’est savoir, d’abord, qu’aucun artiste et qu’aucune école ne s’en sont jamais rendus maîtres entièrement ; qu’aucune époque, qu’aucune forme, qu’aucune idée n’ont pu