Page:Vasari - Vies des peintres - t1 t2, 1841.djvu/31

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Quoi qu’il en soit, les ténèbres qui enveloppent les antiquités grecques, éthiopiennes et chaldéennes, aussi bien que les nôtres, ne permettent aux historiens que de se livrer à des conjectures plus ou moins hasardées. Quant à moi, je crois ne m’être point écarté de la vérité en disant que l’art doit son origine à la nature elle-même, que le monde offrit le premier modèle, et que le maître fut cette divine intelligence qui nous rend supérieurs aux autres animaux et même semblables à Dieu, s’il est permis de le dire. De nos jours on a vu, comme j’espère le démontrer avant peu, de simples enfants grossièrement élevés dans les bois copier, sans autre guide que leur génie, les vives peintures et les riches sculptures de la nature. Avec combien plus de raison alors peut-on penser que les premiers hommes, doués de facultés vierges, trouvèrent, améliorèrent et enfin conduisirent à la dernière perfection ces nobles arts dont l’univers leur fournissait les plus beaux modèles. Je ne nierai pas que l’art ait eu un commencement, un premier metteur en œuvre. Je ne nierai pas davantage que les premiers dessinateurs, les premiers peintres, les premiers sculpteurs se soient prêtés de mutuels secours. Notre art n’a pu produire spontanément des chefs-d’œuvre, je le sais. Mais je soutiens que vouloir déterminer que tel ou tel l’ait inventé est chose très scabreuse et même peu nécessaire. Ne suffit-il pas de savoir quelle fut son origine ? Comment connaîtrions-nous les artistes dont les ouvrages qui sont pour ainsi dire leur vie et leur renommée ont été détruits par le temps, sans qu’il se soit trouvé aucun écrivain pour en transmettre la mémoire à la postérité ? Et lorsque parurent des historiens qui songèrent à parler des hommes qui les avaient précédés, ils ne purent s’occuper de ceux dont le souvenir était perdu ; de sorte que pour eux les premiers artistes furent précisément les derniers, dont le nom avait été épargné par le temps. Ainsi tout le monde s’accorde à dire que le premier poëte fut Homère. Cependant Homère déclare lui-même que d’autres existèrent avant lui ; mais ceux-là étaient tombés dans l’oubli depuis plus de deux mille ans. Maintenant il est