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L'ANARCHISTE

ailleurs. Peut-être la grande amertume que reflétait le visage de Jacques venait-elle de cet abandon.

— Quel est votre état, mon ami ? demandai-je avec intérêt, afin d’avoir l’occasion de lui être utile, si son travail, comme j’en étais certain, ne suffisait pas à son existence.

— J’ai essayé de tout, Monsieur, mais je ne suis pas apte aux gros travaux, et les patrons, sous un prétexte ou sous un autre, m’ont toujours congédié au bout de peu de temps. Les besognes pénibles sont cependant les seules qui fassent vivre les malchanceux, les seules qu’on leur accorde sans marchander.

— Je crois que vous exagérez un peu et qu’avec des protections…

— Avec des protections ! Tout est là. Aujourd’hui on n’obtient plus rien avec de l’intelligence et du savoir-faire ! Il faut des protections ; la faveur va aux plus recommandés et non aux plus dignes.

— Il en a été toujours de même. Les défauts de chaque individu pris isolément se retrouvent dans une société. Vous ne pouvez exiger la raison parfaite de ce qui est fatalement déraisonnable…

— Alors, ne vous drapez pas dans votre illusoire supériorité ! Que les puissants ne traitent pas les petits avec un si cruel dédain !