Page:Verhaeren - Émile Verhaeren, 1883-1896, 1896.djvu/51

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On fusille par tas, là-bas.

La mort avec des doigts précis et mécaniques,
Au tir rapide et sec des fusils lourds,
Abat, le long des murs du carrefour,
Des corps debout jetant des gestes tétaniques ;
Des rangs entiers tombent comme des barres.
Des silences de plomb pèsent sur les bagarres.
Des cadavres dont les balles ont fait des loques,
Le torse à nu, montrent leurs chairs baroques ;
Et le reflet dansant des lanternes fantasques
Crispe en rire le cri dernier sur tous ces masques.

Et lourds, les bourdons noirs tanguent dans l’air ;
Une bataille rauque et féroce de sons
S’en va pleurant l’angoisse aux horizons
Hagards comme la mer.
Tapant et haletant, le tocsin bat,
Comme un cœur dans un combat,
Quand, tout à coup, pareille aux voix asphyxiées,
Telle cloche qui âprement tintait,
Dans sa tourelle incendiée,
Se tait.