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Il était là, le front tourné vers la marée
De ses âmes, par sa présence, exaspérées.
Son verbe était sans crainte et clair comme autrefois ;
Rien ne fêlait le bourdon lourd qu’était sa voix ;
La Flandre et sa grandeur et sa beauté perdues
Chaviraient aux remous de ses phrases tordues.
Son œil cherchait à voir au fond des autres yeux
La suprême lueur des souvenirs de feu.
Ses paroles douaient d’orgueil et de mémoire,
Ce peuple au cœur trop haut pour abolir sa gloire,
Et lentement, il l’eût vaincu et reconquis
Si tout à coup, un savetier, Thomas Denis,
Voyant se diviser les foules incertaines
Et redoutant qu’Artevelde ne les domptât,
Ne l’eût frappé, d’un large et soudain coutelas,
À la tête, comme un éclair foudroie un chêne.

Ô ce soir de Juillet où le Tribun mourut,
Soleil de Flandre, en avez-vous gardé mémoire ?
Les hommes d’aujourd’hui ont rebâti sa gloire
Car le monde changea quand son front disparut.