Page:Verhaeren - Les Rythmes souverains, 1910.djvu/110

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Guichets, comptoirs, bureaux, sous vos abat-jour verts
Avec vos mille mains griffant la page blanche,
Vous consignez la vie illuminant la mer
Des Antilles au Cap et du Cap à la Manche ;
Vous resserrez la force énorme entre vos doigts,
Et le courage humain se nombre sous vos plumes,
Et la peine, et l’ardeur, et la rage, et l’effroi,
Et l’ahan de la forge, et les bonds de l’enclume.
Vous recensez les coups de pic et de marteaux
Dans les mines, dans les forêts et dans les brousses,
Et les pas des porteurs ployant sous leurs fardeaux,
Et le trot voyageur des caravanes rousses ;
Et vos livres massifs, pleins de mornes odeurs
Où s’étage l’orgueil des sommes chimériques,
S’imprègnent, jour à jour, de l’immense sueur
Qui perle aux quais d’Asie et coule aux docks d’Afrique.

Et tout là bas, au coin d’un carrefour géant,
Du haut de tes grands toits, œillés de vitres rondes,
Tu règnes, de pôle en pôle, sur l’Océan,