Page:Verhaeren - Les Rythmes souverains, 1910.djvu/60

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Et le peuple assemblé n’a point peur de mes mains. »

Jean voulut s’approcher et lui parler encore ;
Mais Barrabas terrible et fou saisit l’amphore,
Et menaça l’apôtre, avec son bras levé :
« D’ailleurs, qu’est donc ce Christ encombrant le pavé
De va-nu-pieds grossiers et de femmes publiques
Et de prêches et de gestes mélancoliques ?
Je l’ai connu en Galilée, où il était
Un pauvre et mauvais apprenti qui rabotait
Du mauvais bois et qui trompait les gens pour vivre.
Jamais il n’a su lire un texte dans un livre,
Et voici qu’il nous parle et raisonne de Dieu !
Se dire l’envoyé du Très-Haut est un jeu
Que les fourbes depuis longtemps aiment et jouent,
Mais que moi, Barrabas, tout couvert de ma boue,
Je blâme et je déteste et je ne jouerai pas,
Étant trop haut encor pour descendre si bas. »
Jean sentit la douleur vriller si fort son âme
Qu’il supplia, les mains jointes, l’une des femmes
D’empêcher Barrabas de blasphémer encor.