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poèmes


Touchez ce qui sera les vers, mes doigts d’opale,
Les vers, qui mangeront, pendant les vieux minuits
Du cimetière, avec lenteur, mon cerveau pâle,
Les vers, qui mangeront et mes dolents ennuis
Et mes rêves dolents et jusqu’à la pensée
Qui lentement incline, à cette heure, mon front,
Sur ce papier, dont la blancheur, d’encre blessée,
Se crispe aux traits de ma dure écriture.

Et vous aussi, mes doigts, vous deviendrez des vers,
Après les sacrements et les miséricordes,
Mes doigts, quand vous serez immobiles et verts,
Dans le linceuil, sur mon torse, comme des cordes ;
Mes doigts, qui m’écrivez, ce soir de rauque hiver,
Quand vous serez noués — les dix — sur ma carcasse
Et que s’écrasera sous un cercueil de fer,
Cette âpre carcasse, qui déjà casse.