Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/40

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Chez un homme aussi spontané, aussi impressionnable, aussi tendre, aussi violent, aussi extrême, un tel événement, semble-t-il, a dû retentir jusqu’au tréfonds de l’être ? Certes en a-t-il été fortement ébranlé. Toutefois la consolation lui est venue assez vite. Nous le voyons dès ce moment se rattacher à ses amis, séjourner à la campagne, chez le bourgmestre Six, faire des portraits nombreux, esquisser des paysages, se raccrocher à l’existence comme il le peut et en vouloir un peu à son rêve parce qu’il s’est fendu comme une belle coupe. La réalité qu’il a dédaignée jusqu’alors, et qui s’est comme vengée de lui, l’enveloppe comme une proie, le dompte, le saccage. On peut croire un instant qu’elle le vaincra brutalement.

Mais bientôt Rembrandt transporte sa douleur en son rêve comme jadis il y transporta sa joie. Elle s’affirme certes aussi humaine que possible, elle se concentre en désespoir sanglotant ou muet, elle se traduit immense et tragique en tel chef-d’œuvre de violence et de larmes, elle se mue en tristesse ample et universelle comme si tous les hommes gémissaient et souffraient en elle. Avec des ruines, avec des débris d’existence et d’amour, Rembrandt se reconstitue quand même un paradis.

De Saskia, il lui reste un enfant, Titus. En plus, grâce au dévouement d’une servante, Henriette Stoffels, il lui reste une apparence de ménage et d’intérieur. Cela lui suffit pour se croire comme jadis un ordonnateur de fêtes et d’art, un magicien dont la vie s’écoule en quelque île de