Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/60

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plus ordinaires : un Butor (1639, musée de Dresde), des Paons (1638, coll. Cartwright), un Bœuf éventré (1655, musée du Louvre). Certes, il ne peut s’empêcher de grandir ces très humbles modèles, mais le rendu terre à terre, dans sa vulgarité, n’en reste pas moins un but à ses yeux.

Pourquoi se détourne-t-il ainsi brusquement de son vrai art ? La réponse est fort simple. Il veut par une étude minutieuse de ton sur ton (roux sur roux, gris sur gris, rouge sur rouge) acquérir ce qui lui manque encore : la souplesse dans les désinences et les nuances des couleurs voisines, afin de pouvoir exécuter plus tard toute la gamme d’une même lumière, se dégradant à l’infini d’un objet sur un objet voisin. Ces toiles qu’illustrent d’admirables natures mortes ne sont donc à ses yeux qu’un exercice et ne le tentent que par la difficulté vaincue.

Au reste, concurremment avec elles, il mène à bonne fin toute une série d’œuvres dont la donnée épique ou légendaire le maintient dans sa vraie voie d’évocateur. L’Ange Raphaël quittant la famille de Tobie, du Louvre, date de 1637. La composition en est admirable. La famille du patriarche, le père à genoux, la femme et le fils serrés dans leur crainte, le chien familier se blottissant auprès de sa maîtresse, rendent témoignage du miracle, tandis que l’ange guérisseur, farouche et impétueux disparaît d’un vol droit et vainqueur vers les cieux et rejoint les milices célestes dont il s’est un instant détaché. Ce fait extraordinaire est, comme toujours chez Rembrandt, représenté dans son essence. Rien n’est de trop. Aucun