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confessions

nitude. Je remplirais un chapitre et un volume à vouloir analyser cette sorte d’état que je n’ai jamais éprouvé autant qu’à ce moment de ma vie. Comme j’avais fait part à mes parents du changement survenu dans le train normal de ma santé, qu’une perte soudaine d’appétit et une volubilité inaccoutumée de mes discours qui commençaient à devenir incohérents les renseignaient d’autre part, ainsi que l’ardeur suspecte de mon teint, et qu’ils se montraient inquiets, je me crus en péril de mort et je me disais, Louis XIV au petit pied, « que ce n’était pas si pénible que ça de mourir » ; puis ma tête par degrés s’alourdit, les veines me brûlèrent et je m’endormis d’un sommeil aux mille rêves qui continuaient dans mille réveils en sursaut. Bref la maladie, une fièvre muqueuse, se déclara très forte et dangereuse. J’eus un délire violent et multiforme, tantôt riant, tantôt sanglotant, hébété tour à tour et raisonneur. Un épisode m’en fut raconté qui est assez bizarre : la table de multiplication et la liste des départements avec leurs chefs-lieux et sous-préfectures, ces deux bêtes noires des petits écoliers, chimères accroupies sur ma poitrine haletante, revenaient souvent dans mes divagations où j’en faisais, avec le système métrique, autre Croque-mitaine, un amalgame qui eût été amusant dans toute autre circonstance. C’est ainsi qu’entre deux assoupissements entrecoupés de paroles inintelligibles,