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Mais tu n’en traînes pas, en tes ondes glacées,
Autant que ton aspect m’inspire de pensées !

Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font
Monter le voyageur vers un passé profond,
Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes,
Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.
Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers
Et reflète, les soirs, des boléros légers.
Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive
Où vient faire son kief l’odalisque lascive.
Le Rhin est un burgrave, et c’est un troubadour
Que le Lignon, et c’est un ruffian que l’Adour.
Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies
Berce de rêves doux le sommeil des momies.
Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés,
Charrie augustement ses îlots mordorés,
Et soudain, beau d’éclairs, de fracas et de fastes,
Splendidement s’écroule en Niagaras vastes.