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jusqu’à l’obi

point à le regretter. Il y eut même, certain jour, un beau coup de fusil dont tout l’honneur revint à Jean. En effet, l’animal qu’il avait abattu ne fut pas rapporté sans peine. C’était une bête à poil court et roussâtre par-devant, après avoir été gris pendant la période hivernale. Sur son dos courait une raie jaune comme une raie mulassière. Ses longues cornes se recourbaient gracieusement au-dessus de sa tête, ce qui indiquait un mâle de cette espèce de ruminants.

« Voilà un beau renne ! s’écria Sandre.

— Oh ! dit Napoléone d’un ton de reproche à son frère aîné, pourquoi as-tu tué un renne ?…

— Pour le manger, petite sœur !

— Moi qui les aime tant !

— Eh bien, puisque tu les aimes tant, reprit Sandre, tu pourras te régaler, car il y en aura pour tout le monde.

— Console-toi, ma mignonne ! dit M. Serge. Cette bête-là n’est point un renne.

— Qu’est-ce donc ?… demanda Napoléone.

— C’est un argali. »

M. Serge ne se trompait point, et ces animaux, qui habitent les montagnes pendant l’hiver et la plaine pendant l’été, ne sont à vrai dire que d’énormes moutons.

« Eh bien, Cornélia, fit observer M. Cascabel, puisque c’est un mouton, tu nous feras cuire ses côtelettes sur le gril ! »

Ce qui fut fait, et, comme la chair de l’argali est extrêmement savoureuse, il est probable que, ce jour-là, le ventre de César Cascabel lui-même prit un peu plus d’embonpoint qu’il ne convenait aux exigences de sa profession.

À partir de ce point, ce fut un long trajet au milieu d’un pays presque aride que la Belle-Roulotte eut à faire pour gagner le cours de l’Obi. Les villages ostiaks étaient de plus en plus rares, et c’est à peine si l’on rencontrait quelques groupes de nomades, émigrant vers les provinces de l’est. D’ailleurs, ce n’était pas sans raison que M. Serge cherchait à traverser les parties les moins peuplées du