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césar cascabel.

gades ne se rencontrent que de loin en loin ; ce n’était pas la Prairie, avec ses horizons reculés, ses larges espaces déserts, ses Indiens nomades, que la civilisation repousse peu à peu vers les régions moins fréquentées du Nord-Amérique. Presque au sortir de Sacramento, le pays s’élevait déjà. On sentait les ramifications de la Sierra, qui limite magnifiquement cette vieille Californie dans le cadre de ses chaînes couvertes de sapins noirs, dominées çà et là par des pics hauts de cinq mille mètres. C’est une barrière de verdure, que la nature a faite à cette contrée où elle avait versé tant d’or, maintenant vidée par la rapacité humaine. Sur la direction suivie par la Belle-Roulotte, ne manquaient point les villes importantes : Jackson, Mocquelenne, Placerville, célèbres avant-postes de l’Eldorado et du Calaveras. Mais M. Cascabel ne s’y arrêtait que le temps de faire quelques emplettes ou lorsqu’il voulait avoir une nuit plus tranquille. Il avait hâte de franchir les montagnes de la Nevada, le pays du Grand Lac Salé, et l’énorme rempart des montagnes Rocheuses, où son attelage aurait quelques bons coups de collier à donner. Ensuite, jusqu’à la région de l’Érié ou de l’Ontario, la voiture n’aurait plus à suivre, à travers la Prairie, que les routes déjà battues par le pied des chevaux et le chariot des caravanes.

Cependant, on n’allait pas vite sur ces territoires montueux. Le chemin s’allongeait de tous les circuits inévitables. De plus, bien que cette contrée soit traversée par le trente-huitième parallèle, qui est, en Europe, celui de la Sicile et de l’Espagne, les dernières froidures de l’hiver avaient conservé toute leur âpreté. On le sait, par suite de l’éloignement du Gulf-stream — ce courant chaud qui, au sortir du golfe du Mexique, se dirige obliquement vers l’Europe — le climat de l’Amérique du Nord est beaucoup plus froid, à latitude égale, que celui de l’ancien continent. Mais, encore quelques semaines, et la Californie serait redevenue cette terre généreuse entre toutes, cette mère féconde, où la graine des céréales se multiplie au centuple, où les productions les plus variées des zones tropicale et tempérée se mélangent à profusion, la canne à sucre, le riz, le tabac, les