Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/223

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oie grasse en état de parfaite cuisson, car je vois que M. Dick n’a pas perdu son temps.

— Comme tu dis, Joe.

— Eh bien ! nous allons voir comment ce gibier d’Afrique se comporte dans un estomac européen. »

L’oie fut bientôt grillée à la flamme du chalumeau, et, peu après, dévorée. Joe en prit sa bonne part, comme un homme qui n’a pas mangé depuis plusieurs jours. Après le thé et les grogs, il mit ses compagnons au courant de ses aventures ; il parla avec une certaine émotion, tout en envisageant les événements avec sa philosophie habituelle. Le docteur ne put s’empêcher de lui presser plusieurs fois la main, quand il vit ce digne serviteur plus préoccupé du salut de son maître que du sien ; à propos de la submersion de l’île des Biddiomahs, il lui expliqua la fréquence de ce phénomène sur le lac Tchad.

Enfin Joe, en poursuivant son récit, arriva au moment où, plongé dans le marais, il jeta un dernier cri de désespoir.

« Je me croyais perdu, mon maître, dit-il, et mes pensées s’adressaient à vous. Je me mis à me débattre. Comment ? je ne vous le dirai pas ; j’étais bien décidé à ne pas me laisser engloutir sans discussion, quand, à deux pas de moi, je distingue, quoi ? un bout de corde fraîchement coupée ; je me permets de faire un dernier effort, et, tant bien que mal, j’arrive au câble ; je tire ; cela résiste ; je me hale, et finalement me voilà en terre ferme ! Au bout de la corde je trouve une ancre !… Ah ! mon maître ! j’ai bien le droit de l’appeler l’ancre du salut, si toutefois vous n’y voyez pas d’inconvénient. Je la reconnais ! une ancre du Victoria ! vous aviez pris terre en cet endroit ! Je suis la direction de la corde qui me donne votre direction, et, après de nouveaux efforts, je me tire de la fondrière. J’avais repris mes forces avec mon courage, et je marchai pendant une partie de la nuit, en m’éloignant du lac. J’arrivai enfin à la lisière d’une immense forêt. Là, dans un enclos, des chevaux paissaient sans songer à mal. Il y a des moments dans l’existence où tout le monde sait monter à cheval, n’est-il pas vrai ? Je ne perds pas une minute à réfléchir, je saute sur le dos de l’un de ces quadrupèdes, et nous voilà filant vers le nord à toute vitesse. Je ne vous parlerai point des villes que je n’ai pas vues, ni des villages que j’ai évités. Non. Je traverse les champs ensemencés, je franchis les halliers, j’escalade les palissades, je pousse ma bête, je l’excite, je l’enlève ! J’arrive à la limite des terres cultivées. Bon ! le désert ! cela me va ; je verrai mieux devant moi, et de plus loin. J’espérais toujours apercevoir le Victoria m’attendant en courant des bordées. Mais rien. Au bout de trois heures, je tombai comme