Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Pure vérité, fit Joe avec assurance. Mais que voulez-vous ? quand on persiste à végéter dans ce monde-ci, on n’apprend rien, on reste ignorant comme un marsouin. Venez un peu dans Jupiter et vous verrez ! par exemple, il faut de la tenue là-haut, car il a des satellites qui ne sont pas commodes ! »

Et l’on riait, mais on le croyait à demi ; et il leur parlait de Neptune où les marins sont joliment reçus, et de Mars où les militaires prennent le haut du pavé, ce qui finit par devenir assommant. Quant à Mercure, vilain monde, rien que des voleurs et des marchands, et se ressemblant tellement les uns aux autres qu’il est difficile de les distinguer. Et enfin il leur faisait de Vénus un tableau vraiment enchanteur.

« Et quand nous reviendrons de cette expédition-là, dit l’aimable conteur, on nous décorera de la croix du Sud, qui brille là-haut à la boutonnière du bon Dieu.

— Et vous l’aurez bien gagnée ! » dirent les matelots.

Ainsi se passaient en joyeux propos les longues soirées du gaillard d’avant. Et pendant ce temps, les conversations instructives du docteur allaient leur train.

Un jour, on s’entretenait de la direction des ballons, et Fergusson fut sollicité de donner son avis à cet égard.

« Je ne crois pas, dit-il, que l’on puisse parvenir à diriger les ballons. Je connais tous les systèmes essayés ou proposés ; pas un n’a réussi, pas un n’est praticable. Vous comprenez bien que j’ai dû me préoccuper de cette question qui devait avoir un si grand intérêt pour moi ; mais je n’ai pu la résoudre avec les moyens fournis par les connaissances actuelles de la mécanique. Il faudrait découvrir un moteur d’une puissance extraordinaire, et d’une légèreté impossible ! Et encore, on ne pourra résister à des courants de quelque importance ! Jusqu’ici, d’ailleurs, on s’est plutôt occupé de diriger la nacelle que le ballon. C’est une faute.

— Il y a cependant, répliqua-t-on, de grands rapports entre un aérostat et un navire, que l’on dirige à volonté.

— Mais non, répondit le docteur Fergusson, il y en a peu ou point. L’air est infiniment moins dense que l’eau, dans laquelle le navire n’est submergé qu’à moitié, tandis que l’aérostat plonge tout entier dans l’atmosphère, et reste immobile par rapport au fluide environnant.

— Vous pensez alors que la science aérostatique a dit son dernier mot ?

— Non pas ! non pas ! Il faut chercher autre chose, et, si l’on ne peut diriger un ballon, le maintenir au moins dans les courants atmosphériques favorables. À mesure que l’on s’élève, ceux-ci deviennent beaucoup plus uniformes, et sont constants dans leur direction ; ils ne sont plus troublés