Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/48

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brés de petits colis, et d’où ils ne bougeront plus. Allez donc chercher un monsieur romanesque au milieu de ces endormis, menacés du mal de mer !

Quant à moi, c’est sur le pont que j’ai l’intention de passer la nuit, et je remonte par le capot. L’Américain est là, achevant de remettre sa caisse en état.

« Croyez-vous, s’écrie-t-il, croyez-vous qu’il m’a demandé un pourboire, cet ivrogne de moujik !

— J’espère que vous n’avez rien perdu, monsieur Ephrinell ? ai-je répliqué.

— Non… par bonheur !

— Puis-je savoir combien vous importez de dents en Chine dans ces caisses ?

— Dix-huit cent mille, sans compter les dents de sagesse ! »

Et Fulk Ephrinell se met à rire de cette plaisanterie qu’il a dû maintes fois semer sur sa route. Je le quitte et j’atteins la passerelle entre les deux tambours.

Ciel assez beau avec un vent de nord qui menace de fraîchir. Au large, de longues risées verdâtres courant à la surface de la mer. Il est possible que la nuit soit plus dure qu’on ne le supposait. À l’avant du paquebot, nombreux passagers, Turkomènes en guenille, Kirghizes aux yeux bridés, moujiks en tenue d’émigrants, — de pauvres diables, enfin, étendus sur les dromes, contre les parois, le long des prélarts. Ils fument presque tous, ou grignotent les provisions qu’ils ont emportées pour la traversée. Les autres cherchent déjà dans le sommeil à réparer leurs fatigues, peut-être même à tromper leur faim.

L’idée me vient de faire les cent pas au milieu de ces groupes. Je suis comme un chasseur, qui bat les broussailles avant de se mettre à l’affût. Me voici devant le tas des colis, sur lesquels je jette un véritable regard de douanier.

Une caisse assez grande, en bois blanc, sur laquelle retombe un pan du prélart, attire mon attention. Elle mesure, en hauteur, un mètre