Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/60

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— Inconnu… non, monsieur Lornans, mais, à proprement parler, je ne sais trop ce qu’il signifie…

— Monsieur Dardentor, reprit le docteur Bruno, commettre des excès, c’est abuser de soi, c’est user le corps non moins que l’esprit, en se montrant immodéré, intempérant, incontinent, en s’abandonnant surtout aux plaisirs de la table, déplorable passion qui ne tarde pas à détruire l’estomac…

— Quès aco, l’estomac ?… demanda Clovis Dardentor du ton le plus sérieux.

— Ce que c’est ?… s’écria le docteur Bruno. Eh ! parbleu ! une machine qui sert à fabriquer les gastralgies, les gastrites, les gastrocelles, les gastro-entérites, les endogastrites, les exogastrites ! »

Et, en défilant ce chapelet d’expressions qui ont le mot gaster pour radical, il paraissait tout heureux que l’estomac eût donné naissance à tant d’affections spéciales.

Bref, Clovis Dardentor persistant à soutenir que ce qui indiquait une détérioration quelconque de la santé lui était inconnu, puisqu’il refusait d’admettre que ces mots eussent une signification, Jean Taconnat, très amusé, employant la seule locution qui résume l’intempérance humaine, dit :

« Enfin… vous n’avez jamais fait la noce ?…

— Non… puisque je ne me suis jamais marié ! »

Et la voix claironnante de cet original se prolongea en de tels éclats que les verres tintèrent sur la table, comme si elle eût été secouée d’un coup de roulis.

On comprit qu’il serait impossible de savoir si cet invraisemblable Dardentor avait été ou non le prototype de la sobriété, s’il devait à sa tempérance habituelle l’insolente santé dont il jouissait, ou si elle était due à une constitution de fer que nul abus n’avait pu endommager.

« Allons, allons ! confessa le capitaine Bugarach, je vois, monsieur Dardentor, que la nature vous a bâti pour devenir un de nos futurs centenaires !