Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/64

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— Mais pour avoir une famille, répliqua Jean Taconnat.

— Et avec la famille les soucis qu’elle comporte !

— Pour avoir des enfants… des petits-enfants…

— Et avec eux les tourments qu’ils causent !

— Enfin pour avoir des descendants naturels, qui s’affligeront de votre mort…

— Ou qui s’en réjouiront !

— Croyez-vous donc, reprit Marcel Lornans, que l’État ne se réjouira pas s’il hérite de vous ?…

— L’État… hériter de ma fortune… qu’il mangerait comme un dissipateur qu’il est !

— Cela n’est pas répondre, monsieur Dardentor, dit Marcel Lornans, et il est dans la destinée de l’homme de se créer une famille, de se perpétuer dans ses enfants…

— D’accord, mais l’homme peut en avoir sans se marier…

— Comment l’entendez-vous ?… demanda le docteur.

— Je l’entends ainsi qu’on doit l’entendre, messieurs, et, pour mon compte, je préférerais ceux qui sont tout venus.

— Des enfants adoptifs ?… riposta Jean Taconnat.

— Assurément ! Est-ce que cela ne vaut pas cent fois mieux ?… Est-ce que cela n’est pas plus sage ?… On a le choix !… On peut les prendre sains d’esprit et de corps, après qu’ils ont passé l’âge des coqueluches, des scarlatines et des rougeoles !… On peut s’en offrir qui sont blonds ou bruns, bêtes ou intelligents !… On peut se les donner fille ou garçon, suivant le sexe que l’on désire !… On peut en avoir un, deux, trois, quatre, et même une douzaine, selon qu’on a, plus ou moins développée, cette bosse de la paternité adoptive !… Enfin, libre à soi de se fabriquer une famille d’héritiers dans des conditions excellentes de garantie physique et morale, sans attendre que Dieu daigne bénir votre union !… On se bénit soi-même… à son heure et à son gré !…

— Bravo, monsieur Dardentor, bravo ! s’écria Jean Taconnat. À la santé de vos adoptifs ! »