Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/77

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d’ailleurs, Marcel Lornans ne voulait attacher aucune importance, et, en fumant de conserve, ils parcoururent la dunette de l’avant à l’arrière.

Lorsqu’ils s’approchaient de la rambarde, ils pouvaient apercevoir le domestique de Clovis Dardentor, qui se tenait immobile près du capot de la machine, vêtu de sa livrée de voyage d’une irréprochable correction.

Que faisait-il là et qu’attendait-il, sans donner aucun signe d’impatience ? Il attendait le réveil de son maître. Tel était l’original au service de M. Clovis Dardentor, non moins original que lui. Entre ces deux personnages, il est vrai, quelle différence de tempérament et de caractère !

Patrice, — il s’appelait ainsi, bien qu’il ne fût point d’origine écossaise, et il méritait ce nom qui vient des patriciens de l’ancienne Rome.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, on ne peut plus « comme il faut ». Ses manières distinguées contrastaient avec les allures sans façon du Perpignanais, qu’il avait à la fois la bonne et la mauvaise fortune de servir. Les traits de son visage glabre, toujours rasé de frais, son front qui fuyait légèrement, son regard empreint d’une certaine fierté, sa bouche dont les lèvres mi-closes laissaient voir de belles dents, sa chevelure blonde soigneusement entretenue, sa voix posée, sa noble prestance, permettaient de le ranger dans ce type dont la tête, d’après les physiologistes, forme le « rond allongé ». Il avait l’air d’un membre de la Chambre-Haute d’Angleterre. Depuis quinze ans déjà en cette place, ce n’est pas qu’il n’eût eu maintes fois l’envie de la quitter. Inversement, Clovis Dardentor avait eu non moins souvent l’idée de lui montrer la porte. À la vérité, ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre, bien qu’il eût été difficile d’imaginer deux natures plus opposées. Ce qui enchaînait Patrice à la maison de Perpignan, ce n’étaient pas ses gages, quoiqu’ils fussent élevés, c’était la certitude que son maître avait en lui une confiance absolue, d’ailleurs méritée. Mais