Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/147

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— Oui !… bien des années !…

— Il n’est pas étonnant alors que vous ne sachiez point… Croyez-moi !… C’est un bon conseil que je vous donne !… Ne retournez pas au milieu de ces décombres !

— Et pourquoi ?…

— Parce que ce serait vous souiller rien que d’en fouler les cendres. C’est ici la maison du traître !…

— Du traître ?…

— Oui, de Simon Morgaz ! »

Il ne le savait que trop, le malheureux !

Ainsi, de l’habitation, dont sa famille avait été chassée douze ans avant, de cette demeure qu’il avait voulu revoir une dernière fois, qu’il croyait debout encore, il ne restait que quelques pans de murailles, détruites par le feu ! Et la tradition en avait fait un lieu si infâme que personne n’osait plus l’approcher, que pas un des gens de Chambly ne l’apercevait sans lui jeter sa malédiction ! Oui ! douze ans s’étaient écoulés, et, dans cette bourgade comme partout dans les provinces canadiennes, rien n’avait pu diminuer l’horreur qu’inspirait le nom de Simon Morgaz !

Jean avait baissé les yeux, ses mains tremblaient, il se sentait défaillir. Sans l’obscurité, le vieil homme aurait vu le rouge de la honte lui monter au visage.

Celui-ci reprit :

« Vous êtes Canadien ?…

— Oui, répondit Jean.

— Alors vous ne pouvez ignorer le crime qu’avait commis Simon Morgaz ?

— Qui l’ignore en Canada ?

— Personne en vérité, monsieur ! Vous êtes sans doute des comtés de l’est ?

— Oui… de l’est… du Nouveau-Brunswick.

— De loin… de très loin, alors ! Vous ne saviez peut-être pas que cette maison avait été détruite ?…