Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/155

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Lui aussi, il avait compris le sens de cette manifestation populaire. Et, en cet instant, il reconnut son frère, dont la figure livide lui apparut dans un reflet des flammes, tandis que cent voix criaient avec cette date odieuse du 27 septembre, le nom infamant de Simon Morgaz !

L’abbé Joann ne fut pas maître de lui. Il étendit les bras, il s’élança vers le bûcher, au moment où le mannequin allait être précipité au milieu de la fournaise.

« Au nom du Dieu de miséricorde, s’écria-t-il, pitié pour la mémoire de ce malheureux !… Dieu n’a-t-il pas des pardons pour tous les crimes !…

— Il n’en a pas pour le crime de trahison envers la patrie, envers ceux qui ont combattu pour elle ! » répondit un des assistants.

Et, en un instant, le feu eut dévoré, comme il le faisait à chaque anniversaire, l’effigie de Simon Morgaz. Les clameurs redoublèrent et ne cessèrent qu’au moment où les flammes s’éteignirent.

Dans l’ombre, personne n’avait pu voir que Jean et Joann s’étaient rejoints, et que, là, tous deux, la main dans la main, ils baissaient la tête.

Sans avoir prononcé une parole, ils quittèrent le théâtre de cette horrible scène, et s’enfuirent de cette bourgade de Chambly, où ils ne devaient jamais revenir.