Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/164

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— Oui, mère, il faut y croire, répondit Jean. Avant peu de jours, le mouvement aura commencé…

— Et que Dieu nous donne le triomphe qui est dû aux causes saintes ! ajouta Joann.

— Que Dieu nous vienne en aide ! répondit Bridget, et peut-être aurai-je enfin le droit de prier pour… »

Jusqu’alors, jamais, non, jamais ! une prière n’avait pu s’échapper des lèvres de cette malheureuse femme pour l’âme de celui qui avait été son mari !

« Ma mère, dit Joann, ma mère…

— Et toi, mon fils, répondit Bridget, as-tu donc prié pour ton père, toi, prêtre du Dieu qui pardonne ? »

Joann baissa la tête sans répondre.

Bridget reprit :

« Mes fils, jusqu’ici, vous avez tous les deux fait votre devoir ; mais, ne l’oubliez pas, en vous dévouant, vous n’avez fait que votre devoir. Et même, si notre pays vous doit un jour son indépendance, le nom que nous portions autrefois, ce nom de Morgaz…

— Ne doit plus exister, ma mère ! répondit Jean. Il n’y a pas de réhabilitation possible pour lui ! On ne peut pas plus lui rendre l’honneur qu’on ne peut rendre la vie aux patriotes que la trahison de notre père a conduits à l’échafaud ! Ce que Joann et moi nous faisons, ce n’est point pour que l’infamie, attachée à notre nom, disparaisse !… Cela, c’est impossible !… Ce n’est pas un marché de ce genre que nous avons conclu ! Nos efforts ne tendent qu’à réparer le mal fait à notre pays, non le mal fait à nous-mêmes !… N’est-ce pas, Joann ?

— Oui, répondit le jeune prêtre. Si Dieu peut pardonner, je sais que cela est interdit aux hommes, et, tant que l’honneur restera une des lois sociales, notre nom sera de ceux qui sont voués à la réprobation publique !

— Ainsi, on ne pourra jamais oublier ?… dit Bridget, qui baisait ses deux fils au front, comme si elle eût voulu en effacer le stigmate indélébile.