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nation, qui rend l’époux esclave de sa femme dans la plupart des habitations de la colonie. Non ! Pour être juste, il y a lieu de reconnaître qu’elle prenait sa part du travail quotidien. Néanmoins, Thomas Harcher se soumettait volontiers à ses volontés comme à ses caprices. Aussi, quelle belle famille lui avait donnée Catherine, depuis Pierre, patron du Champlain, son premier né, jusqu’au dernier bébé, âgé de quelques semaines seulement, et qu’on s’apprêtait à baptiser en ce jour.

En Canada, on le sait, la fécondité des mariages est véritablement extraordinaire. Les familles de douze et quinze enfants y sont communes. Celles où l’on compte vingt enfants n’y sont point rares. Au delà de vingt-cinq, on en cite encore. Ce ne sont plus des familles, ce sont des tribus, qui se développent sous l’influence de mœurs patriarcales.

Si Ismaël Busch, le vieux pionnier de Fenimore Cooper, l’un des personnages du roman de la Prairie, pouvait montrer avec orgueil les sept fils, sans compter les filles, issus de son mariage avec la robuste Esther, de quel sentiment de supériorité l’eût accablé Thomas Harcher, père de vingt-six enfants, vivants et bien vivants, à la ferme de Chipogan !

Quinze fils et onze filles, de tout âge, depuis trois semaines jusqu’à trente ans. Sur les quinze fils, quatre mariés. Sur les onze filles, deux en puissance de maris. Et, de ces mariages, dix-sept petits-fils — ce qui, en y ajoutant le père et la mère, faisait un total de cinquante-deux membres, en ligne directe, de la famille Harcher.

Les cinq premiers nés, on les connaît. C’étaient ceux qui composaient l’équipage du Champlain, les dévoués compagnons de Jean. Inutile de perdre son temps à énumérer les noms des autres enfants, ou à préciser d’un trait l’originalité de leur caractère. Garçons, filles, beaux-frères et belles-filles, ne quittaient jamais la ferme. Ils y travaillaient, sous la direction du chef. Les uns étaient employés aux champs, et l’ouvrage ne leur manquait guère. Les autres, occupés à l’exploitation des bois, faisaient le métier de « lumbermen », et ils