Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/245

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appelé à leur tête par les droits de lignée.

Maître Nick ni Lionel ne furent point inquiétés dans leur retraite. Du reste, lord Gosford suivait avec une extrême attention les menées des réformistes, qui continuaient d’agiter les paroisses du haut et du bas Canada. Le district de Montréal était plus spécialement soumis à la vigilance de la police. On s’attendait à un mouvement insurrectionnel des paroisses voisines du Richelieu. Les mesures furent prises pour l’enrayer dès le début, s’il était impossible de le prévenir. Les soldats de l’armée royale, dont sir John Colborne avait pu disposer, venaient d’établir leurs cantonnements sur les territoires du comté de Montréal et des comtés auxquels il confinait. Les partisans de la réforme n’ignoraient donc point que la lutte serait difficile à soutenir. Cela n’était pas pour les arrêter. La cause nationale, pensaient-ils, entraînerait la foule entière des Franco-Canadiens. Ceux-ci n’attendaient qu’un signal pour courir aux armes, depuis que l’affaire de Chipogan avait révélé la présence de Jean-Sans-Nom. Si le populaire agitateur ne l’avait pas donné, c’est que les décisions antilibérales, auxquelles il prévoyait que le Cabinet britannique s’abandonnerait, ne s’étaient pas produites jusqu’alors.

Jusque-là, du fond de cette mystérieuse Maison-Close, où il avait rejoint sa mère, Jean ne cessait d’observer attentivement l’état des esprits. Durant les six semaines qui s’étaient écoulées depuis son arrivée à Saint-Charles, l’abbé Joann était venu nuitamment lui rendre plusieurs fois visite. Par son frère, Jean avait été tenu au courant des éventualités politiques. Ce qu’il espérait des tendances oppressives des chambres anglaises, c’est-à-dire la suspension de la constitution de 1791, puis la dissolution ou la prorogation de l’assemblée canadienne qui devait en résulter n’était qu’en projet. Aussi, dans son ardeur, Jean avait-il été vingt fois sur le point de quitter Maison-Close pour se jeter ostensiblement à travers le comté, pour appeler à lui les patriotes avec l’espérance que la population des villes et des campagnes se lèverait à sa voix, que tous feraient bon