Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et alors sa pensée se reporta vers cette maison de Saint-Denis, où Clary de Vaudreuil allait apprendre la défaite des patriotes. En ne voyant pas revenir son père, ne penserait-elle pas qu’il avait succombé ?… Serait-il possible de la prévenir que M. de Vaudreuil avait été transporté à Maison-Close, de l’arracher elle-même aux dangers qui la menaçaient dans cette bourgade, livrée aux vengeances des vainqueurs ?

Ces inquiétudes accablaient Jean. Et, aussi, quelles tortures en présence de ce dernier désastre, si terrible pour la cause nationale ? Tout ce qui avait pu être conçu d’espérances, après la victoire de Saint-Denis, tout ce qui en eût été la conséquence immédiate, le soulèvement des comtés, l’insurrection gagnant la vallée du Richelieu et du Saint-Laurent, l’armée royale réduite à l’impuissance, l’indépendance reconquise, et Jean ayant réparé vis-à-vis de son pays le mal que lui avait fait la trahison paternelle… tout était perdu… tout !

Tout ?… Pourtant, n’y aurait-il plus lieu de reprendre la lutte ? Le patriotisme serait-il tué dans le cœur des Franco-Canadiens, parce que quelques centaines de patriotes avaient été écrasés à Saint-Charles ?… Non !… Jean se remettrait à l’œuvre… Il lutterait jusqu’à la mort.

Bien que la nuit fût déjà très sombre, la bourgade s’emplissait encore des hurrahs des soldats, des cris des blessés, à travers les rues éclairées de larges flammes ; après avoir détruit le camp, l’incendie s’était communiqué aux habitations voisines. Où s’était-il arrêté ?… Si le feu avait gagné l’extrémité de la bourgade ?… Si Maison-Close était détruite ?… Si Jean ne retrouvait plus ni sa maison ni sa mère ?

Cette crainte le terrifia. Lui, il pourrait toujours s’enfuir dans la campagne, gagner les forêts du comté, s’échapper pendant la nuit. Avant le jour, il serait hors d’atteinte. Mais M. de Vaudreuil, que deviendrait-il ? S’il tombait entre les mains des royaux, il était perdu, car les blessés ne furent même pas épargnés en cette sanglante affaire !