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— Mon père ! s’écria Clary, qui se tenait au fond du vestibule. Ouvrez !…

— Clary de Vaudreuil, reprit Bridget en baissant la voix, si je suis venue, c’est pour vous conduire près de votre père, et c’est Jean qui m’envoie… »

Déjà les verrous de la porte avaient été repoussés, lorsque Bridget dit à voix basse :

« Non… n’ouvrez pas !… Attendez !… »

Et, redescendant les marches, elle se laissa glisser au pied de l’escalier. En effet, il importait qu’elle ne fût pas aperçue, il importait qu’on ne la vît pas entrer dans cette maison, et, en ce moment, une troupe d’hommes, de femmes, d’enfants, s’approchait, en suivant la rive du Richelieu.

C’était la première bande des fuyards, qui atteignait Saint-Denis, après avoir pris à travers la campagne pour éviter les routes. Là, il y avait des blessés que soutenaient leurs parents ou leurs amis, de pauvres femmes entraînant ce qui leur restait de famille, et aussi plusieurs patriotes valides, qui avaient pu se soustraire à l’incendie et au massacre. Nombre d’entre eux devaient connaître Bridget, et Bridget tenait à ce qu’on ne sût pas qu’elle avait quitté Maison-Close. Aussi, blottie dans l’ombre du mur, voulait-elle laisser passer ce premier flot de fugitifs.

Mais, pendant ces quelques minutes, que dut penser Clary, entendant ces cris, — des cris de désespoir ? Depuis plusieurs heures, elle guettait les nouvelles qui devaient venir de Saint-Charles. Peut-être serait-ce son père, peut-être Jean lui-même qui se hâterait de les apporter, s’il ne se décidait pas à marcher immédiatement sur Montréal, après une nouvelle victoire ?

Non ! À travers cette porte que Clary n’osait plus ouvrir, des gémissements arrivaient jusqu’à elle.

Enfin, les fugitifs, après avoir passé devant la maison, continuèrent à redescendre la berge, en attendant qu’il leur fût possible de franchir le fleuve.