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circonstances : suivre les Mahogannis à Walhatta, et attendre, sous le toit de ses ancêtres, que l’apaisement des esprits lui permît de rompre avec son rôle de chef de tribu pour rentrer modestement dans son étude.

Lionel, il est vrai, ne l’entendait pas ainsi. Le jeune poète comptait bien que le notaire briserait définitivement ses panonceaux de la place du marché Bon-Secours, et perpétuerait chez les Hurons l’illustre nom des Sagamores.

C’était à deux lieues de la ferme de Chipogan, au village de Walhatta, que maître Nick s’était installé depuis plusieurs semaines. Là, une vie nouvelle avait commencé pour le placide tabellion. Si Lionel fut enthousiasmé de la réception que les hommes, les vieillards, les femmes, les enfants, firent à son patron, ce n’est pas assez de le dire, il aurait fallu le voir. Les coups de fusil qui l’accueillirent, les hommages qui lui furent rendus, les palabres qui se tinrent en son honneur, les discours emphatiques qui lui furent adressés, les réponses qu’il dut faire dans le langage imagé de la phraséologie du Far-West, cela était bien pour flatter la vanité humaine. Toutefois, l’excellent homme regrettait amèrement la malencontreuse affaire dans laquelle il s’était involontairement engagé. Et, si Lionel préférait à l’odeur de l’étude et des parchemins le grand air des Prairies, si l’éloquence des guerriers mahoganniens lui semblait supérieure au jargon de la basoche, maître Nick ne partageait point son avis.

De là, entre son clerc et lui, des discussions qui n’allaient à rien moins qu’à les brouiller l’un avec l’autre.

Et, par-dessus tout, maître Nick craignait que cela ne fût point fini. Il voyait déjà les Hurons entraînés à prendre fait et cause pour les patriotes. Et pourrait-il leur résister, s’ils voulaient les rejoindre, si Jean-Sans-Nom les appelait à son aide, si Thomas Harcher et les siens venaient réclamer son concours à Walhatta ? Déjà gravement compromis, que serait-ce lorsqu’il marcherait à la tête d’une peuplade de sauvages contre les autorités anglo-canadiennes ? Comment