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Infailliblement, Jean fût mort de faim, sans la pitié de charitables habitants, qui voulaient bien ne point lui demander ni qui il était, ni d’où il venait, au risque de se compromettre.

De là, des retards inévitables. Au delà du comté de Laprairie, lorsqu’il traverserait la province de l’Ontario, Jean regagnerait le temps perdu.

Pendant les 4, 5, 6, 7 et 8 décembre, c’est à peine si Jean avait pu faire vingt lieues. En ces cinq jours, — il serait plus juste de dire ces cinq nuits, — il ne s’était guère écarté de la rive du Saint-Laurent, et se trouvait alors dans la partie centrale du comté de Beauharnais. Le plus difficile était fait, en somme, car les paroisses canadiennes de l’ouest et du sud devaient être moins surveillées à cette distance de Montréal. Pourtant, Jean ne tarda pas à reconnaître que les dangers s’étaient accrus en ce qui le concernait. Une brigade d’agents était tombée sur ses traces à la limite du comté de Beauharnais. À diverses reprises, son sang-froid lui permit de les dépister. Mais, dans la nuit du 8 au 9 décembre, il se vit cerné par une douzaine d’hommes qui avaient ordre de le prendre mort ou vif. Après s’être défendu avec une énergie terrible, après avoir grièvement blessé plusieurs des agents, il fut pris.

Cette fois, ce n’était pas Rip, c’était le chef de police Comeau qui s’était emparé de Jean-Sans-Nom. Cette fructueuse et retentissante affaire échappait au directeur de l’office Rip and Co. Six milles piastres qui manqueraient à la colonne des recettes de sa maison de commerce !

La nouvelle de l’arrestation de Jean-Sans-Nom s’était aussitôt répandue à travers toute la province. Les autorités anglo-canadiennes avaient un intérêt trop réel à la divulguer. C’est ainsi qu’elle arriva, dès le lendemain, jusqu’aux paroisses du comté de Laprairie, c’est ainsi qu’elle fut rapportée, dans la journée du 8 décembre, au village de Walhatta.

Sur le littoral nord de l’Ontario, à quelques lieues de Kingston, s’élève le fort Frontenac. Il domine la rive gauche du Saint-Laurent