Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/357

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— Frère !…

— Pars, Jean !… Pars !… Je le veux !… Notre mère le veut !… Ton pays le veut ! »

Jean, vaincu par l’ardente parole de Joann, n’avait plus qu’à obéir. La possibilité de revenir sous deux jours au fort Frontenac, avec quelques centaines de patriotes, vainquit ses dernières résistances.

« Je suis prêt, » dit-il.

L’échange des vêtements se fit rapidement. Sous l’habit de l’abbé Joann, il eût été difficile de reconnaître que son frère s’était substitué à lui.

Et alors, tous deux s’entretinrent pendant quelques instants de la situation politique, de l’état des esprits depuis les derniers événements. Puis, l’abbé Joann dit :

« Maintenant, je vais appeler le sergent. Lorsqu’il aura ouvert la porte de la cellule, tu sortiras et tu le suivras en marchant derrière lui le long du couloir qu’il éclairera avec son fanal. Une fois hors du blockhaus, tu n’auras plus que la cour intérieure à traverser — une cinquantaine de pas environ. Tu arriveras près du poste, qui est à droite de la palissade. Détourne la tête en passant. La poterne sera devant toi. Quand tu l’auras franchie, descends en contournant la rive, et marche jusqu’à ce que tu aies atteint la lisière d’un bois, à un demi-mille du fort. Là, tu trouveras Lionel…

— Lionel ?… Le jeune clerc ?…

— Oui ! Il m’a accompagné, et il te conduira jusqu’à l’île Navy. Une dernière fois, embrasse-moi !

— Frère ! » murmura Jean, en se jetant dans les bras de Joann.

Le moment étant venu, Joann appela à voix haute et se retira au fond de la cellule.

Le sergent ouvrit la porte, et, s’adressant à Jean, dont la tête était cachée sous son large chapeau de prêtre :

« Vous êtes prêt ? » demanda-t-il.

Jean répondit d’un signe.

« Venez ! »