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— Dites-le donc ! » répondit Bridget, qui n’hésita pas même devant cette menace.

Puis, d’une voix plus forte :

« À moi !… À moi ! » répéta-t-elle.

Une dizaine de patriotes l’entouraient alors. D’autres accouraient de divers points de la berge.

« Cet homme, dit Bridget, c’est l’agent Rip, c’est un espion au service des royaux…

— Et cette femme, dit Rip, c’est la femme du traître Simon Morgaz ! »

L’effet de ce nom abhorré fut immédiat. Celui de Rip s’effaça devant lui. Les cris de : « Bridget Morgaz !… Bridget Morgaz !… » dominèrent le tumulte. Ce fut vers cette femme que se tournèrent instantanément les menaces et les injures. Rip en profita. N’ayant rien perdu de son sang-froid, voyant que l’attention était détournée de lui, il disparut. Et, sans doute, le soir même, il parvint à traverser le bras droit du Niagara pour regagner Schlosser et se réfugier au camp de Chippewa, car aucune recherche ultérieure ne put le faire découvrir.

On sait, actuellement, pourquoi Bridget, entraînée au milieu d’une foule ameutée, était poursuivie dans la direction de la maison de M. de Vaudreuil.

Et c’est au moment où elle allait tomber sous les coups que Jean venait d’apparaître, et rien que par ces mots : « Ma mère ! » il avait révélé le secret de sa naissance !…

Jean-Sans-Nom était le fils de Simon Morgaz. Comment le fugitif se trouvait-il alors à l’île Navy, le voici en quelques mots.

Au bruit de cette détonation partie de l’enceinte du fort Frontenac, Jean était tombé sans mouvement entre les bras de Lionel. Il avait compris. Joann venait de mourir à sa place. Il fallut les soins de son jeune compagnon pour le ranimer. Après avoir traversé le Saint-Laurent sur la glace, tous deux avaient suivi la rive de l’Ontario, et ils étaient déjà loin du fort, au lever du jour.